Témoignage – Référentiels LP

TEMOIGNAGE

Quand le décalage, l’incohérence deviennent trop grands entre la commande institutionnelle et les réalités du terrain ou quand cette commande remet en cause la professionnalité et/ou le sens du métier alors se développe de la souffrance dans l’exercice de son métier. Dans une lettre que nous avons « anonymé », une collègue exprime ce ressenti exacerbé par le vécu de la 2ème journée de « formation » des lycées professionnels sur les référentiels CCF  CAP. Il nous a semblé important de la publier après accord de la collègue car cet écrit fait écho à de nombreuses problématiques pointées par le SNEP FSU et parce que beaucoup d’entre nous se retrouveront dans ces mots/maux.

L’incompréhension

Certes, suite à la première journée de formation, ordre nous avait été donné de concevoir nos référentiels pour les CAP avant la fin 2020 mais les conditions sanitaires ayant évolué, la priorité me semblait être autre part…

Que se passe-t-il dans nos établissements ?

A la rentrée des vacances de Toussaint, nous avons dû nous réorganiser une première fois : 2ème programmation des APSA pour celles qui étaient interdites, imposition de demi-groupes.

Mi-janvier, nouvelles décisions qui mettent l’EPS dehors, limitent fortement les brassages. 3ème programmation à refaire entièrement tant dans les APSA que dans l’alignement des classes sur les créneaux et l’utilisation des vestiaires sans parler des conditions de travail, à l’extérieur, en plein hiver, qui nous mettent dans l’embarras, l’incompréhension, la révolte, nous, et nos élèves.

Semaine avant les vacances de février, sans aucune instruction concernant les évaluations des terminales pour le 2ème trimestre et en vue des conseils de classe programmés à la rentrée des vacances, réunion de l’équipe EPS pour adopter une position commune et la plus juste possible, pour les élèves, tout en tentant de préserver leurs chances pour Parcoursup.

Ces adaptations récurrentes, ce contexte pandémique, les inquiétudes et le désarroi de nos élèves et de leurs parents, les nombreux échanges avec notre chef d’établissement pour acter le fonctionnement (vérification quasi-journalière des demi-groupes, de l’alignement des classes pour éviter le brassage et optimiser les vestiaires, des emplois du temps, commande de matériel) me semblaient, à eux-seuls, justifier d’un report de la mise en place de cette réforme…mais non…

Et, il y a aussi, le contexte « établissement » et la baisse des moyens alloués par le Ministère (qui préfère rendre 212 millions sur le dernier budget…) pour travailler dans des conditions décentes et faire notre métier sereinement.

La période de révélation de DGH atrophiées, de suppressions de postes EPS, de l’imposition d’HSA, de négociations avec le chef d’établissement pour essayer de sauver ce qu’il est possible de sauver, des conseils de classe, est loin d’être favorable aux demandes institutionnelles :

–      difficile de négocier un maintien de poste lorsque les heures d’option facultative EPS, pourtant dans le programme de la réforme du lycée, ne sont pas financées.

–      le pourcentage important d’HSA dans la DGH oblige le chef d’établissement à supprimer des postes et à nous les imposer. C’est la pression descendante…

L’imposition d’HSA (maintenant 2) n’a d’autres objectifs que de diminuer le coût du travail. En fonction de l’indice du prof, elles reviennent 2 fois moins cher que les heures poste…Dans le privé, l’heure supplémentaire est majorée de 25% par rapport à l’heure normale…

Travailler plus pour gagner plus ???

L’HSA empêche le recrutement de jeunes collègues issus du CAPEPS, car si l’HSA était rémunérée « justement », l’Etat ferait des économies en recrutant…et elle augmente la charge de travail et la charge mentale.

–      la pression toujours plus importante des parents et des élèves (en Lycée GT) par rapport aux notes qui sont primordiales dans les dossiers « Parcoursup ». En faisant entrer toujours plus de subjectivité dans l’évaluation, il va devenir très difficile de justifier nos notes, la pression va augmenter et le mal-être également.

La souffrance au travail :

Depuis 1 an maintenant, l’institution nous somme de concevoir des référentiels dans un cadre contraint, soi-disant national (mais bizarrement, ce n’est pas le même d’une académie à l’autre) en balayant nos réticences (la baisse de la motricité, l’usine à gaz de l’évaluation des rôles sociaux et de la répartition des points, l’utilisation de ces référentiels pour le Bac 2021 sans avoir été « testés » avant, la dévalorisation de notre discipline qui ne représente plus que 5% au Bac).

J’ai été mal tout le week-end (pensées négatives et récurrentes, troubles du sommeil, impressions de surnager dans la mélasse) et ce, jusqu’au jour de la formation, où j’avais décidé de prendre la parole et de parler de la souffrance au travail.

La souffrance au travail, je crois aussi la retrouver dans celles d’autres services publics : les flics, les hospitaliers. Les mécanismes sont les mêmes (perte de sens, surcharge de travail, poids de la hiérarchie, baisse des moyens) mais les résultats ne sont pas identiques. Nous avons la chance, nous et les hospitaliers, d’être en contact avec des élèves (des patients), qui sont notre cœur de métier et qui, par leurs retours, leur satisfaction nous (ré)confortent dans notre rôle et nous apportent un peu de la considération dont notre ministre ne fait plus preuve (voire même il nous dénigre…).

Nous n’avons pas, non plus, à disposition une arme de service qui fait que le passage à l’acte devient quasi-définitif… Mais les suicides existent quand même, comme celui de notre collègue Christine Renon, le 21 septembre 2019. Les démissions se multiplient, aussi, et sans doute, les burn-out, les dépressions, les arrêts de travail. Sans médecine du travail, comment dénoncer ces faits ?

Peut-on analyser la deuxième journée de formation avec les indicateurs du harcèlement institutionnel ou managérial ?

Actes visant à empêcher une personne de s’exprimer

Nous avons utilisé successivement un nombre d’ordinateurs conséquents afin de pouvoir nous connecter à la plateforme « via » pour participer à cette journée de formation mais nous n’avons pas pu nous exprimer à cause de conditions de connexion très médiocres, voire nulles : peu de son ou pratiquement inaudible, interventions hachées et incompréhensibles, peu de vidéo.

Je ne pense pas à un acte délibéré mais je m’étonne qu’une autre plateforme plus efficace et d’utilisation simple (zoom) n’ait pas été utilisée pour travailler dans des conditions correctes.

Impossible aussi, dans ces conditions, de soutenir un collègue qui demande des explications, qui exprime son incompréhension, son malaise…et culpabilité de ses collègues de le laisser aller, seul, au charbon.

Actes visant l’isolement physique et social

Avant les référentiels étaient nationaux. S’ils s’avéraient impossibles à utiliser ou dénués de sens, la profession pouvait se réunir pour essayer de modifier/améliorer/faire évoluer les textes.

Depuis l’année dernière, les référentiels sont locaux (bien qu’on cherche à nous faire croire le contraire). Dans les petites équipes, peut-être est-ce encore possible de travailler en équipe, mais dans les grandes et souvent aussi faute de temps (surcharge de travail), la conception se fait seul. Le prof, même s’il est totalement réfractaire (perte de sens), se voit dans l’obligation de répondre à la demande institutionnelle (poids de la hiérarchie).

Je pense, tout particulièrement, aux jeunes collègues qui doivent, eux aussi, répondre à cette demande, alors qu’ils arrivent dans un établissement et n’ont peut-être pas d’expérience avec des élèves de ces niveaux.

Prenez soin de vous et ne vous laissez pas broyer par le rouleau compresseur…

Les actes ayant pour intention de déconsidérer une personne auprès de ses collègues

Je pense avoir toujours été investie dans mon travail et avoir pris part à de nombreux projets, en avoir initié, avoir œuvré pour le collectif (coordonnatrice).

Pourquoi nous demande-t-on de fournir notre travail pour « relecture » à un ou des établissements ?

Eux, comme nous, avons du mal à nous approprier ces outils et d’un coup de baguette magique, nous serions capables d’évaluer les référentiels d’un autre établissement ?

Non ! Les ficelles sont un peu grosses.

L’institution nous demande de fournir ce travail, à elle de l’évaluer.

C’est un autre mode de pression : demander un travail conséquent en temps contraint : Mercredi 5 mars, réception d’un mail nous convoquant à une nouvelle journée de formation sur l’évaluation en voie professionnelle. Vendredi 7 mars, veille de week-end, 4 nouveaux mails et 14 pièces jointes. Nous devons produire ou finaliser nos référentiels CAP et corriger ou faire une relecture (c’est plus diplomate) des référentiels de 2 autres établissements. Ce travail de « relecture » est un travail supplémentaire donné aux équipes en plus de leur travail de conception et de leur travail de prof au quotidien : il aurait fallu en 3 jours « relire » et remplir la fiche-outil de pré-validation de nombreux référentiels tout en continuant d’assurer nos cours et nos préparations !

Par ailleurs, insinuamment, pourrait s’installer entre collègues, même insidieusement, sans volonté de faire du mal, des rancœurs, des incompréhensions qui pourraient pervertir et détériorer des relations de travail jusqu’alors satisfaisantes.

Ceci est aussi valable lors de la conception de nos propres référentiels, nous n’avons pas tous les mêmes façons de travailler, d’appréhender les activités et il faut négocier un référentiel commun. Certains pourraient se considérer comme lésés, peu entendus, peu considérés par la majorité.

Diviser pour mieux régner…

Envoyons nos référentiels à ceux qui nous les demandent et n’augmentons pas la charge de travail de nos propres collègues…prenons soin les uns des autres.

Les actes visant le discrédit de la personne dans son travail (privation d’activité, contrainte à la réalisation de tâches totalement inutiles et/ou absurdes voire humiliantes, obligation de réalisation de tâches très inférieures ou très supérieures à ses compétences)

Je pense que le titre parle de lui-même (j’ai rayé ce qui me semble extrême)…

Je peux citer en vrac :

– la dévalorisation de la discipline (Brevet et Bac),

–      la dévalorisation de la motricité dans les évaluations,

–      l’évaluation des AFL 3 en lycée où il nous est demandé d’évaluer 35 élèves dans un rôle social choisi,

–      les nomogrammes peu intuitifs (alors qu’il suffirait de mettre une fourchette de notes pour obtenir le même résultat),

–      l’« auto-référencement » en CAP,

–      les exigences totalement disproportionnées en musculation CAP (nos élèves sont fâchés/réfractaires avec l’écrit, le calcul, n’écoutent pas et ne comprennent pas les consignes écrites ou orales, certains sont primo-arrivants et ne maîtrisent pas le français, d’autres en apprentissage et intègrent la classe 2 semaines toutes les 2 semaines, d’autres encore en ULIS qu’il faut rassurer et avec qui on doit établir une relation de confiance)…et je n’ai pas lu tous les cadres…

–      la baisse du niveau d’exigences et la perte de sens de l’activité : la part du barème attribué à la performance en CA 1 : 3 points !

Entrent également dans ce paragraphe : faire refaire une tâche déjà parfaitement exécutée, définir une procédure d’exécution de la tâche et une fois qu’elle est exécutée, contester la procédure, donner des consignes confuses et contradictoires qui rendent le travail infaisable et qui poussent à la faute.

C’est le cas des situations aménagées en CA4. Nous avons préparé nos référentiels et lors de cette journée, on nous explique que « Identifier le déséquilibre adverse et en profiter pour produire rapidement l’action décisive choisie et marquer le point » nécessite de prévoir une situation aménagée afin que l’élève identifie, de facto, le déséquilibre.

Incompréhensions des profs, fatigue à l’idée de refaire une partie du référentiel et de chercher « LA » situation qui va bien aller, sans parler de la faisabilité de la situation d’évaluation avec 20 élèves minimum !

Pourtant le référentiel des épreuves ponctuelles du Tennis de Table en CAP décrit la situation d’évaluation ainsi : « Chaque candidat dispute plusieurs matchs contre des adversaires de niveau proche dans des poules homogènes. Les matchs se disputent en deux sets gagnants de 11 points secs ».

Alors oui, j’ai eu mal pour mon collègue, son équipe, investis, qui ont conçu de nombreux référentiels et à qui on dit, globalement, mais toujours avec une extrême bienveillance, qu’ils n’ont rien compris…

Toutes ces injonctions entraînent pour moi et peut-être pour mes collègues incompréhensions, frustrations, interrogations sur le métier, angoisses, fatigue, perte d’estime de soi, honte, stress, dévalorisation, anxiété…

Et pourtant, je ne peux pas dire que tout est noir dans mon travail, j’ai de la chance :

–      je m’entends plutôt bien, voire très bien, avec mes collègues auprès de qui je trouve écoute, compréhension et réconfort.

–      Je m’entends plutôt bien avec mon chef d’établissement qui me (nous) font confiance, prend le temps de nous recevoir, de nous expliquer (et vice-versa) et nous accompagne pour proposer les meilleures conditions d’enseignement à nos élèves

–      Je prends encore beaucoup de plaisir à préparer mes cours et à faire cours, à faire progresser les élèves, à jouer avec eux, à leur faire découvrir des APSA, etc…

Que dire de nos IPR ?

Vous allez penser que je cherche à adoucir le propos mais je pense qu’ils font partie de la chaîne de transmission descendante, un maillon intermédiaire, qui se doit d’apporter la bonne parole, même s’ils ne sont pas convaincus. On fait pression sur eux et ils répercutent la pression sur nous, derniers maillons de la chaîne…

Quel peut être le ressenti d’un collègue qui ne peut même pas s’accrocher à ces différentes bouées…

Ces constatations, nous les faisons tous et toutes, nous en parlons entre nous, elles nous pourrissent la vie, nous rendent malades, voire plus, mais nous continuons à faire, à suivre comme des moutons. Il faut que nous retrouvions un collectif (ça ne devrait pas être difficile en EPS, rassurez-moi !) et que nous disions NON ou STOP et qu’on nous entende…

Je suis désolée de ne pouvoir « qu’écrire » mais je suis de nature plutôt timide et réservée et c’est un moyen d’expression qui me correspond plus…

Une prof d’EPS désabusée, voire plus…

A tous ceux qui ont tellement souffert au travail qu’ils ont donné leur vie ou presque, j’espère que la liste ne va pas s’allonger…